Les Zones Humides, édito par Eric Lenoir

Les Zones Humides, édito par Eric Lenoir

Les Zones Humides, édito les pieds dans l’eau -ou presque-

Contrairement à une idée reçue, les zones humides (ZH), ne sont pas uniquement des lieux où l’on voit de l’eau à l’air libre, et même pas en permanence. Si les milieux aquatiques sont le plus souvent des ZH, l’inverse n’est pas nécessairement vrai : on considère qu’une ZH en est une en fonction de divers critères d’abord pédologiques (liés au sol). La capacité du sol à retenir une quantité d’eau à jusqu’à une certaine profondeur maximale, proche de la surface ou à la surface, de façon permanente ou temporaire notable, fait de lui une zone potentiellement humide. D’autres critères de surface, tels la présence d’une des 700 espèces végétales considérées comme indicatrices d’une ZH ou la présence d’eau sur de longues périodes, aident à déterminer cet état.

A l’échelle du territoire français, cela représente à peu près un tiers des surfaces, ce qui est considérable. Les ZH entrant dans le domaine de la Loi-cadre sur l’eau, nécessairement très protectrice, contraignante et complexe -voire inapplicable-, elles ne sont pas très appréciées des aménageurs, développeurs, agriculteurs qui se retrouvent à devoir composer avec.

Mais ces lourdes contraintes administratives, économiques ou techniques qu’elles imposent en particulier à des fins de préservation de la ressource et de la biodiversité ne doivent pas faire oublier ce que nous leur devons.

L’Office Français de la Biodiversité résume leurs vertus ainsi :

  • Rétention des eaux en période d’inondation ;
  • Préservation de la ressource en eau en période de sécheresse ;
  • Épuration de l’eau en particulier l’azote et le phosphore ;
  • Limitation de l’érosion des sols ;
  • Stockage du carbone ;
  • Régulation climatique ;
  • Fourniture de ressources naturelles (foin, bois, produits laitiers, poisson, viande, plantes médicinales…) ;
  • Réservoir de biodiversité pour de nombreuses espèces.
  • Au-delà de ces services, les zones humides jouent également un rôle social, culturel, patrimonial et esthétique.

Autant dire que si elles disparaissent -et elles tendent à le faire du fait de l’artificialisation constante du territoire-, l’impact sur nos vies et toutes les espèces et écosystèmes desquels nous sommes interdépendants sera colossal.

Il semble également utile d’attirer l’attention des collectivités -toutes échelles- concernant d’éventuels projets d’artificialisation des ZH : au regard des nombreuses problématiques liées à l’eau sur nos territoires, fortement susceptibles de se reproduire et s’aggraver, les zones humides de ce type sont des tampons extrêmement précieux pour ralentir les flux hydrologiques. En périodes de sécheresse, elles auront joué un rôle de captation en permettant à l’eau d’alimenter les nappes profondes et d’améliorer la réserve utile de sols agricoles, sur des étendues les dépassant largement.

Au contraire, en période de fortes pluies -comme au moment des photographies jointes à ce document-, elles jouent un rôle de tampon, limitant le ruissellement en aval par son ralentissement, et limitant de facto les risques d’inondation en aval de bassins versants. Les collectivités ont donc fortement intérêt à maintenir leurs services écosystémiques pour réduire les risques économiques et humains dont elles pourraient dans l’avenir être tenues responsables. Le secteur ayant déjà subi une forte artificialisation des sols, il semble raisonnable d’indiquer qu’une imperméabilisation et/ou un drainage de ces zones pourrait constituer un danger non négligeable, et a minima contribuer à l’accroissement des risques et problématiques liées à la gestion de la ressource en eau, de l’érosion et du ruissellement. Lorsqu’on pose une éponge sur une table recouverte d’eau, l’eau ne disparaît pas : elle va -au moins partiellement- dans l’éponge. Priver les territoires de leurs éponges en pensant qu’on parviendra à gérer un débordement provisoire mais continu sans qu’il déborde « par terre » relève de l’hérésie, du manque de réalisme, ou d’une prétention qui confine au cynisme.

Néanmoins, une valorisation des sites reste possible tant pour les collectivité qui auraient eu pour projet de les aménager lors de récents Plans Locaux d’Urbanisme (PLU, PLUi), voire de commencer à y créer des aménagements.

Il pourrait s’inscrire, par exemple, en complément de sites construits annexes, pour en être la vitrine « biodiversité » et « gestion responsable » -pour ne pas dire « gestion durable des ressources », et accueillir diverses activités de formation, sensibilisation, voire d’études en lien avec -notamment- l’INRAE, le Muséum d’Histoire Naturel, l’OFB et les scolaires. En s’inscrivant dans les diverses trames vertes, bleues, noires et brunes, ces sites sont susceptibles d’apporter divers avantages à une collectivité et de l’intégrer à divers programmes d’accompagnement nationaux ou européens. C’est l’occasion de réparer, éventuellement, les méfaits d’une artificialisation déjà effectuée par ailleurs, et de démontrer une prise de conscience des enjeux actuels et à venir.

Post scriptum :

N’allez pas imaginer que des mesures compensatoires, telles qu’imposées par l’administration, compenseront quoi que ce soit de la destruction ou de l’imperméabilisation même partielle d’une zone humide. Imaginer qu’en « fabriquant » une éponge ailleurs éventuellement garnie de quelques plantations, on rétablira un « équilibre » des flux hydrologiques et du cortège d’espèces inféodées à ce milieu là où on les a dégradées, c’est un peu comme imaginer que l’on résoudrait la destruction d’un écosystème en créant un zoo qui l’accueille sur Mars.

Si le gouvernement actuel a décidé de revenir sur la décision de faire appliquer le « Zéro Artificialisation Nette », rien n’empêche les citoyens, les décideurs, les aménageurs, etc. d’agir, eux et elles, en pleine conscience et avec la sagesse qui contribue à laisser un monde correctement habitable aux générations à venir. Aucun aménagement, même prétendument ou sincèrement vertueux, ne sera aussi efficace que la préservation. Peut-être est-il temps de reconsidérer les priorités, alors que nos territoires oscillent entre inondations et sécheresses dont la fréquence et l’ampleur sont de plus en plus terrifiantes. Et en plus c’est beau, une zone humide préservée !

A propos : membre du comité d’expertes de Biodiversio, paysagiste, pépiniériste, jardinier, Eric Lenoir est spécialiste des zones humides et lauréat du concours "Jardiner Autrement" 2018. Il est aussi auteur notamment du « Petit traité du Jardin Punk ».